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Thierry Delabre « le pain c’est la vie ! »

Ou comment un homme tombé dans le pétrin est devenu El Panadero Clandestino

Thierry Delabre el panadero clandestino ©Ludovic Le Guyader

Thierry Delabre el panadero clandestino ©Ludovic Le Guyader

Voilà des histoires comme on les aime ! Des histoires d’hommes, d’amour et de renaissance, des histoires à partager !

« C’est l’histoire d’un mec… » qui après une déception amoureuse s’est mis dans le pétrin pour mieux s’en sortir. L’histoire de Thierry Delabre, El Panadero Clandestino que nous avons rencontré chez lui pour un portrait-partage hors norme.

Pour ceux qui sont amoureux des bonnes choses et très branchés sur les réseaux sociaux difficile de ne pas avoir entendu parler de Thierry Delabre et de son fabuleux pain clandestin qu’il panifie chez lui pour sa famille d’abord, mais aussi pour ses voisins et ses amis et très bientôt pour le plaisir du plus grand nombre.

Une jouissance, oui on peut le dire, une vraie jouissance quand le pain se lève, s’épanouit! 

Nous l’avions rencontré  lors d'une dégustation à l’épicerie levalloisienne Terra Gourma, et comme pour tous ceux qui l’ont approché et ont eu la chance de goûter son fameux pain à la farine de blé truffier de Patrick Duler ce fut un véritable coup de foudre ! Un coup de foudre pour un pain qui transpire l’amour et le partage, un pain sincère qui charme dès la première bouchée, un pain qui reflète l’âme du boulanger.

El Panadero Clandestino, naissance d’une vocation

Un appartement dans le 13ème arrondissement, où la farine flotte partout comme la bonne odeur du pain qui cuit dans le four. Un café, deux cafés… Et entre chaque sonnerie, une pour pétrir, une pour sortir le pain du four, une pour raviver le levain, une pour sortir le pétrin du froid, des discussions pleines de la passion d’un homme Thierry et de sa compagne Florence qui vivent depuis plusieurs mois au rythme des fournées. Ce jour-là il fait chaud dans le 13ème, et le fournil, four particulier en réalité, tourne à bloc. Entre deux pétrissages, et des essais de nouvelles baguettes à la fleur de Berry, une farine issue d’une variété de blé ancienne, Thierry nous parle de son parcours pour arriver jusqu’au pain, une évidence, une envie, une joie, une passion… « Une jouissance, oui on peut le dire, une vraie jouissance quand le pain se lève, s’épanouit ! » nous confie-t-il avec enthousiasme !

Le pain il est d’abord tombé dedans pour se réparer. « j’ai vécu une séparation difficile alors pour me vider la tête j’ai commencé à faire mon pain en 2003 avec une machine à pain. C’est un truc très simple le pain, c’est de l’eau de la farine et du sel. » En 2004 il rencontre Florence « j’ai continué à faire du pain mais sans machine à pain. Je le faisais pour nous avec de la levure de boulanger, mais en 2009 des problèmes de diabète m’oblige à tester régulièrement mon taux de glycémie et c’est là que je me suis aperçu qu’en mangeant du pain blanc elle augmentait. Et là je suis tombé sur un livre, « apprendre à faire son pain au levain naturel » et j’ai vu une autre façon de faire du pain sans mettre de levure mais avec du levain naturel. Et à partir de là le pain n’a plus été un problème ».

Mais du pain personnel au projet de fournil il en a fait du chemin. Retour sur une histoire passionnel entre El Panadero Clandestino et le pain.

Comment expliquez-vous cet amour pour le pain ?

J’adore me lever à 2h du matin le dimanche pour préparer le pain. Je trouve ça trop fort, la ville dort, et toi tu viens la réveiller en mettant de la vie et je trouve ce symbole magique. Et quand arrive 5h le jour se lève, mes premiers pains sortent de cuisson et là c’est un kiff monstrueux, parce que tu relèves la tête du four et tu vois le jour se lever.  Voir le pain se lever, le sortir, le taper pour voir s’il est assez cuit, m’amuser à grigner le pain de différentes façons (les grignes ce sont les traces que le boulanger fait avant de cuire son pain, elles l'aident à se développer, à s’épanouir, se déployer.  Ca fait des cheminées, chaque boulanger à ses préférences) et enfin le partager et voir le sourire de ceux qui le dégustent c’est tous ces instants qui me font aimer le pain !

Comment êtes-vous passé du pain que vous faisiez pour votre consommation personnel à un projet de fournil professionnel ?

A partir de 2012 tout est allé très vite.  A cette époque, j’ai dû faire face à une nouvelle déception,  celle de devoir fermer mon agence événementielle qui fêtait ses 10 ans, durement frappée par la crise. La veille où je devais aller au tribunal pour la mettre en liquidatiion, va savoir pourquoi j’ai décidé de prendre le train et de faire un aller-retour à Cucugnan pour y rencontrer Roland Feuillas pour la première fois.  Quand je suis arrivé sur place face à son moulin j’ai pris une baffe ! Il y a un côté magique quand vous êtes là-bas, le moulin surgit au détour d’un virage et se dresse là devant vous, un vrai moulin à vent du moyen âge entièrement restauré. Cette journée passée en sa compagnie a été un véritable déclic. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore Roland Feuillas est l’homme qui est parti en quête du pain originel en remettant au goût du jour des farines anciennes qu’il transforme dans son moulin et avec lesquelles il produit un pain d’exception, comme autrefois. Après cette visite j’y suis retourné plusieurs fois pour apprendre le pain. Ce fut une immense rencontre avec Roland Feuillas qui m’a appris à penser pain. Avec lui j’ai pu entrer dans le monde du pain avec des blés anciens et fragiles. Pour d’autres boulangers ses farines ne sont pas panifiables, mais c’est tout simplement parce qu’il faut y aller tout en douceur.

Ensuite en 2013, comme avec Florence nous avons toujours été passionnés de cuisine, nous avons commencé à publier ce que nous faisions. Et tous les dimanches, via les réseaux sociaux, on cuisinait avec des potes partout en France via Vision-conférence (Hang out). On faisait des apéros recettes et c’est très vite devenu super convivial, tellement convivial que nous avons été contacté par l’agence de RP de Google France pour travailler avec eux. Et de fil en aiguille notre cuisine est devenu est vrai studio vidéo où nous tournions des émissions.

C’est aussi à partir de là que les réseaux sociaux ont pris de l’ampleur pour nous. Côté pain, du pain intime pour nous et les enfants, nous étions passé au pain de l’immeuble, puis au pain des amis. Je ne vous cache pas que nous avons eu quelques petits soucis avec un voisin qui ne supportait plus l’odeur du fournil. Nous partagions notre pain. Des amis et connaissances sur les réseaux sociaux ont commencé à faire des éloges de notre pain, à le prendre en photo à partager leur bonheur et leur joie de l’avoir gouté « El Panadero Clandestino » était né !

Après ma rencontre avec Roland Feuillas, je peux dire que l’autre déclic a été quand le pain a entièrement envahi ma vie. En faire en plus grosse quantité est alors devenu une évidence. En 2014 pour les fêtes de fin d’année nous avons voulu faire un test sur une grosse fournée, alors nous avons fait un post sur FaceBook « qui veut du pain pour les fêtes ? » et en quelques minutes on avait 20kg de commandes. Laurent Bonneau, un ami boulanger et compagnon du devoir, nous a prêté son fournil et là après la fournée ça a été « Flying to the moon » et tu ne peux pas lutter contre ça. Ensuite il y a eu Omnivore en mars 2015 et le contact avec le public, puis l’invitation de Dominique Lory, chef du restaurant d’Alain Ducasse "Le Louis XV" à Monaco… pour transmettre à Christophe Paquiet son boulanger, le protocole (recette) que j’avais mis au point pour panifier le blé truffier de Patrick Duler… Ce fut une expérience extraordinaire, non seulement les pains étaient au rdv, mais je me suis lié d’amitié avec toute l’équipe.

Tous ces événements nous ont confortés avec Florence dans notre choix de vie et pour passer la vitesse supérieure, notre projet c’est d’avoir un fournil, pour faire un pain d’exception pour des lieux d’exception. Non pas que je sois exceptionnel mais les produits utilisés pour faire le pain eux le sont, des farines anciennes, du levain et de l’eau de source de la Ville de Paris. Et pour des lieux d'exception, des restaurants de qualité et des épiceries fines qui commercialiseront notre pain pour des amateurs de bons produits.

pourquoi avoir choisi un financement participatif pour monter votre fournil ?

Au départ c’est une envie personnelle très vite partagée sur les réseaux sociaux et cette aventure je veux continuer à la partager avec ceux qui nous suivent et nous soutiennent depuis le début. C’est pour cela que nous avons décidé de faire une campagne de financement participatif avec Kiss Kiss Bank Bank et en fonction du montant que les gens mettront ils pourront avoir du pain, 1 fois par mois, une fois par semaine ou plus, ils pourront passer une journée avec nous au fournil ou suivre une formation de 3 jours… En fait j’ai l’impression d’avoir partagé ce pain au-delà des réseaux et c’est ce partage que j’ai envie de continuer. Nous faisons une campagne assez osée, avec une demande de 35 000 €, mais réellement nous avons besoin de 150 000 € à 250 000 € en fonction du local dont nous sommes en quête.

 

Pour faire du pain il faut juste de la farine, de l’eau et du sel… Alors pourquoi est-ce si difficile d’en trouver du bon ?

Tout simplement parce qu’aujourd’hui il est difficile de trouver de la bonne farine et en quantité suffisante. Personnellement j’ai décidé de panifier avec des farines nobles, comme la Fleur de Berry, qui sont des blés de variétés anciennes mélangées au semis et cultivée en bio par un couple de belges installé dans le Berry.
Je travaille des farines plus fragiles de blés anciens qui m'obligent parfois à faire plusieurs essais avant de trouver la bonne formule. Les farines de variétés anciennes sont plus difficiles à travailler car leur gluten est plus fragile et tellement plus digestes mais se tiennent donc moins bien. Les farines issues de l’agriculture conventionnelle que l’on trouve aujourd’hui en grande majorité sont issus de blés qui ont connu pesticides, fongicides, et un apport d’azote qui permet de renforcer le gluten dans l’épi. Elles sont souvent bourrées de gluten rajouté dont on ne connaît pas la provenance, sans parler des additifs. Résultats, des pains qui se tiennent oui mais qui sont indigestes. C’est à cause de ces excès de gluten qu’aujourd’hui plein de gens pensent y être intolérant.

J'ai choisi cette voie aussi parce que j’ai eu la chance de débuter avec des farines dites difficiles à panifier et qu'au fil du temps et des essais j’ai fini par trouver les bonnes méthodes. La farine de blé truffier de Patrick Duler est assez difficile à panifier, j’ai dû faire 23 ou 25 essais différents avant de réussir à faire le pain que je voulais.

Donc oui, le gros défi pour faire un bon pain c’est de trouver les bons producteurs de farine et en assez grande quantité. Aujourd’hui pour trouver des espèces anciennes et nobles je fais appel aux producteurs en direct et au réseau des semences paysannes. Avant de décider de travailler avec les agriculteurs ou les meuniers il faut que j’aille voir sur place les champs, voir si il y a des plantes missicoles comme les coquelicots par exemple, mais aussi des insectes.

le levain il nait, vit et meurt un peu chaque jour.

Une fois que vous avez la bonne farine il faut quoi pour faire un bon pain ?

Ensuite il faut du levain et non pas de la levure. En gros pour un pain de 1kg, tu as 500g de farine et jusqu’à maximum 300g de levain naturel, il est très important car c’est lui qui va donner son caractère au pain.

Aujourd’hui j’en ai 4 et ils sont comme nos enfants et portent des noms, Tom a déjà 4 ans, Albert, qui m’a été transmis par Patrick Duler date de 2012, Nino à 5 mois et enfin Heidi (3 mois) la petite dernière à la Fleur de Berry et qui m’a fait une petite crise d’adolescence dernièrement. Parce qu’il faut savoir que quand tu fais naitre un levain tu as vraiment les 3 stades de la vie, enfant, adolescent, adulte.
En gros, le levain il naît, vit et meurt un peu chaque jour. Pour le faire il faut de la farine, de l’eau et de l’air. Cette rencontre va nourrir les levures sauvages présentent dans la farine et les bactéries vont se développer. Ça devient un être vivant qu’il faut nourrir chaque jour avec de l’eau et de la farine. Pour faire du bon pain, il faut mélanger le levain mais seulement quand il est prêt. J’ai un test pour le vérifier, j’en prends un morceau que je jette dans l’eau. S’il flotte il est prêt, s’il coule net au fond c’est trop tôt, s’il coule en se tortillant c’est trop tard.

Le levain, ça hante mes nuits, vous savez le monde du levain et du pain sont deux mondes très différents. Et pour Florence il faut supporter tout ça. Sans elle il n’y aurait rien, elle s’occupe aussi des levain, de les rafraichir.. . Elle est un peu leur maman.
Avec le levain vous avez l’acide phytique qui est très indigeste, donc quand vous faites un pain au levain il faut que la pâte ait reposé un certain temps au froid et malheureusement bien souvent ce n’est pas le cas, d’où cette impression de gêne après en avoir mangé. Si vous laissez bien reposer la pâte au froid, l’acide  phytique disparait, et l'assurance d'un bon pain digeste.

Et quelle eau utilisez-vous ?

Pour l’instant j’utilise l’eau de source de Paris à la Butte aux cailles, qui est en libre-service  grâce à 4 énormes fontaines. Aujourd’hui  je fais entre 4 et 8 kilos de pain. Quand je ferai mon pain dans le fournil j’aurai au moins besoin de 300 à 400 L d’eau, je me vois bien avec mon vélo et la petite citerne derrière.  Mais je pense que cela ne sera pas possible alors je filtrerai l’eau de réseau.

Et pour le sel ?

Un must forcément, le fleur de sel de guérande.

Vous êtes un épicurien, alors pour finir sur une note gourmande pouvez-vous nous dire vos bons plans du moment ?

L’Epicerie Fine Agrology dans le 12ème  (15 rue de Prague ) spécialisée dans les produits de la Méditerranée et aussi Terra Gourma une épicerie fine à Levallois Perret ( 79 rue Voltaire) avec des tonnes de pépites gourmandes à découvrir et j’espère très bientôt mon pain !

La Cave du Moulin Vieux à la Butte aux cailles pour son choix de vins natures et en biodynamie. Il propose également des paniers de légumes. (4 rue de la Butte aux Cailles – 75013).

Les Comptoir du Médoc : Un restaurant à découvrir très vite avec Nicolas Tissier, ex-second de Jean-François Piège aux commandes. Une adresse où vous pourrez déguster des spécialités du sud-ouest dans les assiettes mais aussi dans les verres. 93 rue de la Victoire – 75009 Paris

Le restaurant Bouillon avec le chef Marc Favier, encore un ancien de chez Jean-François Piège... Un bistrot où vous pourrez commander une blanquette de veau ! 47 rue Rochechouart 75009 Paris

Chez Antoine, un restaurant de poissons étoilé Michelin,  avec aux fourneaux un ancien finaliste de Top Chef, Thibault Bombardier qui propose une cuisine créative et moderne autour des produits de la mer. 10 Avenue de New-York - 75016 Paris

Pour aider Thierry Delabre "El Panadero Clandestino" n'hésitez pas à participer à sa campagne de financement participatif c'est le bon moment !


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