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Patrick Duler, l’âme d’un paysan, les mains d’un cuisinier

En plein démarrage de la COP21, où des hommes cravatés vont débattre de l’avenir de notre planète, ce sont les pieds bien ancrés dans la terre que nous vous invitons à un voyage au cœur du Lot, au Domaine de Saint-Gery, à la découverte d’un exemple d'entreprise responsable qui fait rimer, bio, bon et durable !

Patrick Duler, l’âme d’un paysan, les mains d’un cuisinier

Patrick Duler, l’âme d’un paysan, les mains d’un cuisinier

Quand on s’intéresse un tant soit peu à la gastronomie et aux artisans qui défendent le bon goût, difficile de ne pas connaître Patrick Duler, le petit frenchie qui a battu les espagnols sur leur terrain en remportant en 2014 le titre honorifique du Meilleur jambon du Monde !  Et aujourd’hui on vient de loin pour gouter ses produits, ses salaisons de porcs noirs gascons bien sûr, mais aussi ses foies gras et ses truffes !

Mais avant cette date et du fin fond de sa campagne, difficile pour un homme de la terre de faire parler de lui si ce n’est par la qualité et la renommée de ses produits. Et pourtant, voilà plus de 30 ans que Patrick Duler a repris le Domaine de Saint-Gery (1984), un domaine familial laissé à l’abandon qu’il a, à force de volonté et de travail, porté à bout de bras pour en faire aujourd’hui, un Domaine magnifique (Château & hôtel Collection depuis 2003), un domaine hors du temps qui vit pratiquement en autarcie au cœur de la nature.

Ce retour aux sources et aux vraies valeurs paysannes, effectué depuis longtemps par Patrick Duler, semble enfin trouver un écho dans les média et chez les consommateurs avertis, qui souhaitent de plus en plus, en matière alimentaire, revenir au plus près du produit, au plus proche de la nature et pas uniquement sur un paquet d’emballage. Un véritable « back to the future » du 21ème siècle !

Patrick Duler fait donc partie de ceux qui ont compris depuis longtemps l’importance de respecter notre terre nourricière, et espèrent une prise de conscience rapide du plus grand nombre, pour enfin reconnaitre les erreurs du passé et retrouver le « bon sens  paysan », pour construire un avenir meilleur, plus sain et tout simplement plus vivable en se tournant vers une agriculture durable, vers l’agroécologie.

C’est donc dans un décor de carte postale, dans « son » monde que nous avons rencontré Patrick Duler, sa femme Pascale et leurs 3 enfants. Le temps d’un court séjour,  d’une parenthèse enchantée où nous avons pu nous imprégner de cette philosophie de vie, celle de la terre, du produit sain, du bio, de l’agroécologie, de la polyculture, du bon, de l’avenir quoi !

Une route sinueuse au cœur du Lot, quelques égarements, et enfin les collines blanchâtres et caillouteuses indiquent que nous approchons de Lascabanes, ce petit village du Quercy blanc, non loin de Cahors, qui abrite le Domaine de Saint-Gery. Au bout de l’allée, plusieurs bâtisses aux pierres blanches se dressent fièrement devant nous, le ciel est gris et menaçant mais nous y sommes.

En haut d’un grand escalier de pierre nous pénétrons dans le bâtiment principal où se situe, l’accueil, les cuisines, les deux salles à manger qui composent le restaurant, le salon de piano et le bureau de Patrick et Pascale. Nous sommes accueillis par la benjamine du clan Duler, leur fille de 10 ans qui s’affaire autour des tables.

Présentations faites, son épouse, Pascale, nous fait le tour du propriétaire, les dépendances avec les 5 chambres d’hôtes, mais aussi le SPA qui trône au milieu d'une ancienne bâtisse où se trouve toujours le four à pain, la piscine, les extérieurs, le potager qui fournit la table, le poulailler, l’étang, les champs de blé truffier qui viennent juste d’être ramassés, la source au Loup qui alimente le Domaine et en haut de la colline, sur le plateau calcaire, le sanctuaire, la pouponnière du fameux tuber mélanosporum, la truffière du Domaine  ! 

Constituée de 8 000 chênes truffiers, vous avez bien lu oui 8 000 chênes pubescents truffiers, mais aussi chênes verts et noisetiers, qui en pleine été voient grandir sous leurs pieds cet or noir qui sera récolté dès les premières gelées de novembre et jusqu’au mois de février !

Pour nous repérer sur le domaine, Pascale nous fournit un plan et nous invite à nous promener en attendant l’heure du diner et de notre rencontre avec Patrick Duler. 

Balade au coeur du Domaine de Saint-Géry

Sous une fine pluie estivale, nous entamons donc, notre ascension vers l’Eldorado du Quercy blanc… En arrivant en haut sur le plateau calcaire, la vue sur l’ensemble du Domaine Saint-Gery et sur la campagne avoisinante est magique, mais ce qui l’est plus encore ce sont ces allées de Chênes, des petits, des grands, des moyens, tous les pieds bien ancrés dans la pierre blanche.

Alors on se prend à rêver que l’on va tomber miraculeusement sur le fameux « précieux »… mais ce n’est pas la saison. Nous avons quand même pu observer quelques brulées, ces traces noires qui apparaissent autour des chênes truffiers et annoncent la présence du champignon magique. Après avoir vainement cherché les vestiges du château, indiqué sur la carte (détruit à la révolution, son hypothétique emplacement a laissé place à la forêt il y a de cela fort longtemps), nous retournons au Domaine bredouille mais la tête emplie de belles images.

Cet endroit est d’un calme absolu, pourtant les activités au Domaine Saint Géry ne manquent pas. Ici on fait tout ou presque du champ à l’assiette. Le blé est semé, arrosé, ramassé, mouliné et transformé au Domaine. Le potager quant à lui fournit les fruits et légumes du restaurant et nourrit toute la petite tribu. Les poules offrent leurs bons œufs frais, les plantes, les épices, les aromates, tout est utilisé… Mais pour l’instant point de cochons, ni d’oie ni de canards ! Pourtant les spécialités qui ont fait la renommée de ces lieux sont bien les salaisons et les foies gras (médaillés en 2001). Devant notre étonnement Pascale nous explique que c’était devenu trop contraignant.

Normal, avec tout le travail aux champs entre, les blés, le potager, sans oublier les 8 000 chênes truffiers, le restaurant (uniquement le soir), les chambres d’hôtes (toute l’année) et depuis peu la vigne et les oliviers, qui occupent déjà suffisamment les propriétaires (Pascale faisant aussi l'école à ses enfants), l’élevage en plus était devenu impossible, alors ils ont préféré abandonner cette tâche et se fournir auprès d’éleveurs qui travaillent avec la même rigueur et la même éthique qu’eux.

Une expérience gustative au plus près du goût !

Arrive l’heure du diner. Le restaurant du Domaine - Table remarquable depuis 2003 - propose, uniquement le soir, différent menus dont un autour de la Truffe noire d’hiver (donc pas avant décembre... Et la truffe ne restera donc qu’un rêve  pour nous, nous ne l’aurons ni vue, ni goutée). Le mieux est de se laisser porter et de choisir la formule du chef en 5 plats.

Aux fourneaux, on retrouve le maitre des lieux Patrick, secondé par un de ses fils. En salle Pascale, son épouse, s’occupe de l’accueil et du service. D’une voix douce elle  égraine le menu et la carte des vins. La salle, d’une vingtaine de couverts, est pleine, nos voisins de table, des espagnols (tient donc ! ) vivants au Luxembourg ont opté pour cette étape gourmande sur la route de l’Espagne et ne cachent pas leur joie de gouter enfin le fameux jambon de porc noir gascon qui a réussi, à l’aveugle, à détrôner leur Pata Negra national.

Pour commencer ce repas, nous nous laissons séduire par une petite mise en bouche de lard de porc noir, salé et aromatisé au Thym frais. De quoi préparer le palais pour la dégustation qui va suivre, une assiette du fameux Jambon de 40 mois d’affinage. Mais avant de l’engloutir, Pascale nous conseille de le mâcher au moins 27 fois. Cette mastication forcée nous permettra alors de découvrir toutes ses saveurs et de l’apprécier dans toute sa splendeur. On garde les yeux fermés et on savoure, on picore de peur de voir l'expérience se finir trop tôt. Nos voisins espagnols, eux semblent aussi conquis !

Pour rafraîchir la bouche, un sorbet tomates-pistou du jardin. Arrive la corbeille de pain à la farine de blé truffier et au levain naturel fabriqué et cuit sur place par Patrick Duler. Il est tout bonnement exquis et accompagné d’un beurre cru c’est totalement addictif. Et en découvrant ce pain on comprend mieux la passion qui relie Patrick Duler et Thierry Delabre, le Panadero Clandestino, qui a beaucoup appris à ses côtés.

Ce sont tous ces instants de partage et de petits bonheurs qui vous font entrevoir ce qu’il y a vraiment derrière le goût, ce sens que nous maltraitons trop souvent à coup de produits transformés chargés en sucre raffiné et en gras insaturé,  de produits bas de gamme ingérés par des générations entières depuis 50 ans.  Et là, on repense au pain blanc fadas bodybuildé à la levure de la boulangerie d’à côté, au jambon Poly phosphaté sous cellophane de supermarché et au beurre bas de gamme qui entre dans la composition du sandwich le plus emblématique et le plus vendu de France, l'incontournable Jambon-beurre et là on se demande comment on va bien pouvoir en remanger !

Mais les surprises ne sont pas terminées !  Alors que l’on a déjà bien craqué sur le pain, arrive une tranche de foie gras de canard maison cru, juste cuit au sel, une autre des spécialités de la maison. Une texture fondante et un assaisonnement juste, font de foie gras un autre met d’exception de la maison qui enchante les palais.

Pour arriver à ce résultat, Patrick Duler est d’une exigence intraitable sur la qualité des foies qui arrivent chez lui, maximum 5 heures après avoir été abattus. C’est, selon lui, une des conditions essentielles pour un foie gras d’excellence, avec le type d’élevage et d’engraissement bien sûr ! D’ailleurs il avoue avoir de plus en plus de mal à trouver des foies de grande qualité et ne cache pas qu’il arrêtera la fabrication de foie gras s’il ne trouve plus de fournisseur à la hauteur de ses exigences.

En plat, on retrouve le porc noir gascon mais cette fois-ci grillé, ou plus précisément du nourrain, un jeune porc sevré au début de sa période d’engraissement, qu’il a cuit sur un lit de tête d’ail, accompagné de tempura de légumes du jardin et de pâtes de blé truffier du Domaine.

Pour conclure ce repas, le fromage proposé fait honneur à la région, avec un chèvre de Monquc à l’huile d’Amandon de pruneau. Et pour un dessert, tout en légèreté ou presque, ce seront des pêches du domaine au crumble gratiné.

Le tout divinement accompagné de vins du Mas Del Périé de Fabien Jouve, un vigneron de la région qui travaille la vigne proprement, le plus naturellement possible. Avec pour commencer  un blanc 100% Chenin "les Pièces Longues", une totale réussite pour ce cépage de Loire gorgé de soleil, puis un rouge « Les Acacias », un Malbec puissant, idéal pour accompagner le nourrain grillé.

Un repas qui fait donc la part belle à l’ultra local puisque presque tout est fabriqué sur place hormis le fromage et le vin, mais si près du Domaine…

"Ce que nous mangeons, fait ce que nous sommes"

Après leur service, Patrick et de son épouse nous ont invités à continuer cette immersion  en partageant leur table. Un moment de détente après une longue journée. Le moment de faire le point et parfois de refaire le monde autour de ce qu’il pourrait être, si chacun se sentait vraiment concerné. Du champ à l’assiette, une évidence pour Patrick. « L’exigence dans le choix des produits,  parce que le goût ce n’est pas l’œil mais la langue. Le goût c’est subjectif et c’est très changeant, un jour tu aimes, le lendemain moins. Mais la profondeur, la persistance et la complexité du goût ne change pas ». Il regrette que les gens n’aient pas la culture du produit, même s’il note qu’ils sont de plus en plus intéressés, mais bien souvent manquent d’expériences, de repères. Donc il faut leur donner les bases et leur permettre de faire la différence entre mode et qualité.
Il nous parle de ses lectures qui ont influencées sa vie, comme « La Révolution d’un seul grain de paille » du japonais Masanobu Fukuoka, un livre agro-philosophique publié dans les années 70 et qui a travaillé sur une agriculture dite « sauvage » et à mis en avant le lien qui pouvait exister entre les différents aspects de nos vies.

Quand nous changeons notre nourriture, nous changeons notre société, nous changeons nos valeurs…


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