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Philippe Guichard, le magicien des blés anciens devenu meunier

Rencontre avec le nouveau dealer de farines très prisées de la nouvelle génération de boulangers pros et amateurs.

Philippe Guichard, le magicien des blés anciens devenu meunier

Philippe Guichard, le magicien des blés anciens devenu meunier

Depuis quelques années les néo-boulangers - ceux qui optent pour une panification (fabrication du pain) la plus naturelle possible pour un pain plus digeste à la croûte croustillante et la conservation plus longue - sont à l’honneur et leurs pains au levain naturel glorifiés. Des boulangers aujourd’hui starisés et mis en lumière dans les magazines, à la télévision et dans des ouvrages comme très récemment « Tronches de Pains » aux Editions de l’Epure*, un livre consacré à ces nouveaux artisans « qui font des pains qu’ont d’la gueule ! ».

Derrière chaque bon pain il y a bien sur un bon boulanger (pro ou amateur) qui panifie, mais il y a surtout une bonne farine faite à partir de « bons blés » par des « paysans » qui travaillent des variétés anciennes et c'est bien l'un d'eux que nous avons choisi de vous présenter !

A la recherche des blés perdus !

L’envie d’en savoir plus sur ces farines est née à la suite d'une interview réalisée sur le Panadero Clandestino Thierry Delabre. De cet entretien nous avons appris que les blés modernes conventionnels tous identiques d'un point de vue génétique sont en partie responsables des fameux problèmes de digestion liés au taux de gluten, car ils en sont gavés, pour un plus fort rendement et surtout pour produire des farines plus "élastiques" et donc plus faciles à panifier.

Les variétés anciennes comme les blés de population (qui mélangent des variétés différentes) en sont également pourvus (de gluten) mais ont été délaissées par les céréaliers. Moins élastiques, les farines sont en effet plus difficiles à panifier, à tel point que de nombreux boulangers ont fini par croire qu'elles sont impanifiables, une hérésie pour tous ceux qui se souviennent du bon pain de campagne que pouvait manger nos grands parents et pour tous ceux qui aujourd'hui encore les panifient avec succès.

Les réseaux sociaux nous ont permis de prendre contact avec l’un de ces paysans très connectés qui travaillent les variétés de blés anciens, Philippe Guichard #PaysanBio, comme il se faisait alors appeler !
Après plusieurs échanges virtuels et des essais plus que convaincants de panification avec sa farine (et oui chez Ideemiam on panifie aussi), nous décidons de passer le voir lors d’un séjour dans le Sud-Ouest pour en savoir plus sur ses blés et ses fameuses farines.

Philippe Guichard, une ferme, des champs de blés anciens et un moulin au cœur du Lot et Garonne

Par une chaude, très chaude journée de juillet, c’est dans un véritable décor de carte postale sous fond de campagne vallonnée, hors des réseaux GPS, entre Villeneuve-sur-Lot et Cancon, que nous avons fini par trouver, au bout d’un chemin un peu chaotique, la ferme de Philippe Guichard et son hangar à blé !


C’est un grand gaillard, le regard vif et le sourire aux lèvres, qui nous accueille à bras ouverts, heureux de se trouver enfin dans la vraie vie. Il nous avoue d'emblée être désolé, car il nous avait spécialement gardé une parcelle à moissonner pour nos photos, mais que la veille il a eu un « petit » accident. Dans les faits il est passé à deux doigts de la catastrophe en basculant avec sa vieille moissonneuse batteuse qui est donc à ce jour hors service. Mais pas une raison suffisante pour annuler notre rendez-vous, il est là, bon pied bon œil, pour nous consacrer un peu de son précieux temps, en cette période de récoltes.


Nous voilà à l’ombre de son hangar où sont stockés les blés, au milieu des machines qui semblent dater d’un autre temps, mais qui, parole de paysan, sont ce qui se fait encore de mieux aujourd’hui. Des machines increvables qui, pour certaines, viennent d’Ukraine, pays avec lequel Philippe travaille. Elles sont là pour trier les grains, du plus gros ou plus petits, les nettoyer, avant de les stocker.
Philippe nous fait le tour du propriétaire, jusqu’à la petite pièce qu’il a aménagée dans son hangar pour abriter son moulin, car depuis quelques mois le paysan est aussi devenu meunier !

Ici le moulin entre dans une toute petite pièce recouverte, du sol ou plafond, d'une fine pellicule de poudre blanche et c'est donc bien loin de ceux de Don Quichotte, que Philippe s'enferme pour moudre ses grains de blés anciens et les transformer en farines d’exception. Philippe a investi dans un moulin à pierre pas plus grand qu'un piano. Pour les moins érudits, rappelons ici que la farine est obtenue en écrasant les graines dans un moulin, ici entre deux pierres. Les graines ainsi écrasées peuvent être plus ou moins moulues et seront ensuite classées par type, la farine blanche sera de type 45, dite T45 pour aller jusqu'à l'intégrale la T150. Pour réaliser du pain dit "de campagne" on part généralement sur de la T80, pour un pain dit complet ce sera de la T110 et le pain blanc à base de T65.

Philippe Guichard futur paysan-meunier « moi il me fallait de l’air, de l’espace »

Au fil de nos discussions, Philippe revient sur son parcours de vie et nous explique que son père était céréalier intensif dans le Jura et ne voulait pas qu’il soit agriculteur.  

« J’ai fait un bac de mécanique agricole puis j’ai travaillé en concession mais je devenais fou, moi il me fallait de l’air de l’espace alors j’ai arrêté au bout de 6 mois. J’ai trouvé une place de mécano sur une ferme de 1000 hectares en Seine et Marne. Mais au fur et à mesure du temps j’étais plus sur les tracteurs qu’à l’atelier à faire de la mécanique. Je suis alors devenu chef de culture, puis 4 ans après mon arrivée j’ai développé une maladie surement dû aux pesticides que l'on utilisait sur la betterave. Je pense avoir chopé ça, en nettoyant un énorme vaporisateur de 3000 litres dans lequel je rentrais. A l’époque on ne savait pas et on n’avait aucune protection pour travailler. J’ai commencé à saigner du nez et en 6 mois je suis tombé malade. »

Cet arrêt forcé lui donne envie de reprendre des études en agronomie et c'est très logiquement qu'il choisit de s’orienter vers des méthodes d’agriculture plus saines. C’est un maître de stage en bio sur Toulouse qui le pousse à reprendre une formation et à 28 ans il retourne sur les bancs de l’école.
Et c’est ainsi qu’après avoir obtenu son diplôme il arrive enfin dans le Lot et Garonne pour reprendre en 1995 cette ferme et ses champs, le début de l'aventure du PaysanBIo.

Philippe Guichard producteur de blé sur luzerne vivante

Il commence alors à expérimenter la culture de blé sur Luzerne (plante herbacée fourragère) et découvre les bénéfices de cette association dont l’une des forces est l’apport en azote. En effet la luzerne en apporte en grande quantité à la céréale qui s’épanouit alors sans engrais, sans pesticide et avec un minimum d’entretien, des semis jusqu’à la récolte. « C’est le top du top en termes de précédent agronomique pour une céréale, pour apporter de l’azote. Ma ferme fait 55 hectares, les 2/3 en légumineuses, soit fourragères (luzerne) soit graines. »
Il cultive des variétés anciennes dans des mélanges de population pouvant réunir jusqu’à 50 variétés différentes qui se protègent les unes les autres : rouge de Bordeaux, poulard, barbu du tarn, « certaines sont aussi hautes que nous, alors qu’en conventionnel elles ne dépassent pas les 60 cm. Mes blés mélangés cohabitent. Il y a peu les poulards, épis très particuliers, très noir, avaient été couchés par la grêle, mais d'autres blés plus petits les ont soutenus et j’ai quand même pu les récolter. »

Il parle avec passion de ses blés et nous raconte qu'il découvre régulièrement de nouvelles variétés nées de mélanges naturels « J’ai des blés de croisement de population, avec un grain plus blanc, ces épis m’ont plu, à la maturité ils font la virgule (ils pointent vers le bas), c’est parce qu’ils sont trop lourds au niveau des grains. »

Au commencement il y a les champs !

Après toutes ces explications sur l’avantage des blés anciens, du mélange entre eux et de la pousse sur luzerne vivante, Philippe veut nous montrer ses blés et nous emmène dans ses champs, du côté de la fameuse parcelle encore non moissonnée.

Il fait de plus en plus chaud, mais difficile de résister à l’enthousiasme de notre hôte qui nous conduit derrière sa ferme, après avoir gravi un chemin. En découvrant ses parcelles on comprend mieux tout ce qui fait vibrer Philippe. Devant nous les blés s’entremêlent, ils sont beaux, majestueux, jaune, blond, grands, petits, barbus, bruns… Toute la diversité des blés de population est ici bien vivante sous nos yeux. Cette diversité qui fait au final toute la différence et rend sa farine si goûteuse, si unique, si addictive !
Ici pas d’engrais, juste de la terre, de la luzerne, des blés, du soleil et l'amour de celui qui les cultive et l'espoir, à peine dissimulé, de voir un jour son fils Jean reprendre le flambeau de ce qu'il a démarré !

Philippe Guichard et son fils Jean devant la moissonneuse accidentée

Pour tous les amoureux du bon pain, Philippe Guichard sera sur la Scène Artisan du Festival Omnivore à la Maison de la Mutualité à Paris, ce lundi 6 mars 2017 à 13h25 pour partager la passion de son métier.

Philippe Guichard et Stéphane Méjanès sur la scène artisan d'Omnivore

Pour suivre Philippe sur les réseaux sociaux c'est par ici et pour se procurer ses supers farines et autres légumineuses c'est par

*Livre « Tronches de Pains », le guide des pains qu'ont d'la gueule, par Cécile Cau, Guillaume Nicolas-Brion et Marie Rocher aux Editions de l’Epure , actuellement en vente à 20 €, en ligne et dans toutes les bonnes librairies. Ce livre présente plus d'une cinquantaine de ces Néo-boulangers dont certains sont des paysans-boulangers qui produisent de la graine au pain.


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