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Ni cru, ni cuit par Marie-Claire Frédéric, Alma Editeur

Les aliments fermentés ou quand la gastronomie vous invite à un voyage au cœur des micro-organismes

Ni cru, ni cuit par Marie-Claire Frédéric, Alma Editeur

Ni cru, ni cuit par Marie-Claire Frédéric, Alma Editeur

Nous en mangeons quotidiennement sans le savoir, un simple jambon-beurre est à lui seul composé de 3 aliments fermentés, le pain, le beurre et le jambon.
Dans son dernier ouvrage « Ni cru, ni cuit, Histoire et Civilisation de l’aliment fermenté » la journaliste Marie-Claire Frédéric s’est penchée sur le berceau de ces produits de notre quotidien pour faire toute la lumière sur ces aliments qui racontent à leur manière l’histoire de l’humanité.

Journaliste culinaire et gastronomique, auteure de recettes pour la presse écrite, Marie-Claire Frédéric a déjà publié une dizaine d’ouvrages de recettes chez First comme Cuisine Bling Bling, Effeuillez-moi… Aujourd’hui elle nous livre une œuvre majeure où elle décrypte les aliments fermentés. Résultat de 5 ans de travail et de recherches, cet ouvrage riche d’enseignement va, à n'en point douter, devenir une référence dans l’univers des livres dédiés à l’histoire de la gastronomie. Au fil des pages de cette véritable encyclopédie gourmande, Marie-Claire Frédéric nous fait voyager à travers l’histoire et sur les 5 continents.

photo DR

Que serait la gastronomie française sans ses produits fermentés ? Plus de vin, de fromage, de crème, de beurre, de pain…

Bonjour Marie-Claire, pour commencer pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un aliment fermenté ?

C’est un produit alimentaire qui a été transformé par des micro-organismes. Soit par des bactéries, sortes de mini-usines biochimiques qui se nourrissent, se reproduisent et fabriquent des molécules complexes comme dans les yaourts. Soit par des moisissures, des organismes de la famille des champignons que l’on retrouve, par exemple, sur la croûte des fromages soit par des levures comme celles utilisées pour la panification, mais aussi dans la brasserie et la vinification.
Tous ces micro-organismes responsables de la fermentation sont présents naturellement sur ou dans les produits ou peuvent être ajoutés, comme dans la fabrication des yaourts.

Fermentation ou pourriture où se situe la frontière ?

La frontière est mince ! Le fermenté, véritable raffinement des uns devient pourriture et objet de répulsion des autres. La frontière entre les deux peut donc dépendre de l'origine géographique et de la sphère culturelle de chacun. Les micros organisme jouent effectivement le même rôle dans la pourriture ou décomposition que dans la fermentation de la nourriture. En fait la vraie différence réside dans la nature des substances créées et la finalité du processus, la destruction finale pour la première et la conservation pour la seconde. La première n'étant pas contrôlée, la seconde si.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux produits fermentés ?

Je travaille depuis plus de 20 ans dans l’univers de la gastronomie et, comme la plupart des gens, je ne m’étais jamais interrogée sur ce type d’aliments. Pourtant en discutant avec des personnes originaires de différents continents, je me suis rendu compte qu’ils étaient souvent des piliers de la culture gastronomique d’un pays.
Sans la fermentation, les grandes cultures gastronomiques n’existeraient pas !

Que serait la gastronomie française sans ses produits fermentés ? Plus de vin, de fromage, de crème, de beurre, de pain… Il en est de même pour d’autres cultures, que serait le Japon sans la sauce Soja, le Vietnam sans le Nuoc-Man, la Corée sans son Kimchi (chou fermenté dans du sel), la Bavière et l’Allemagne sans leurs bières et leurs charcuteries…Et la liste est encore longue, on compte près de 3 500 produits fermentés à travers le monde, yaourt, fromage, beurre, pain, vinaigre, olives, sauce soja, Nuoc-mâm, saucisson, bière, vin, poisson, viande, les légumes…
C’est ce coté universel des produits fermentés qui a éveillé ma curiosité.

 

Pourquoi les produits fermentés ont-ils une valeur symbolique selon vous ?

L’aliment fermenté est identitaire et communautaire, il symbolise souvent un pays, une région. On en trouve dans toutes les cultures culinaires, sans exception et cet aliment est le plus souvent valorisé, soit pour ses vertus sur la santé, soit pour son goût, soit pour sa symbolique.
A noter qu’on aime son propre produit fermenté et pas celui des autres. Prenez l’exemple du camembert, en dehors de l’Europe ce fromage est perçu comme un produit dégoutant voire répugnant et inversement nous n’aimons pas certains produits comme le Nuoc-mâm, une spécialité d’Asie à base de poisson fermenté. Ce « goût et dégoût » renforce le côté identitaire.
Dans de nombreuses civilisations le produit fermenté est symbole de vie, de naissance, de renouveau, de nourriture essentielle à la vie. Partout dans le monde, sa conception et sa consommation donnent lieu à de grands rassemblements, de fêtes, de rituels, comme par exemple la fête de la Bière à Munich qui déplace des foules incroyables ou les Fêtes autour du vin nouveau…

Quel est le point de départ des produits fermentés ?

Les premiers aliments fermentés furent des boissons. Certains écrits parlent d’un nid d’abeilles tombé au sol lors d’une tempête, ensuite la pluie aurait remplie la ruche d’eau, se mélangeant ainsi au miel et tout ça a tranquillement fermenté.  Des hommes ont ensuite découvert et goûté ce breuvage et l’ont apprécié. L’hydromel, l’une des premières boissons alcoolisées, serait donc ainsi née par accident. Il en est de même pour le lait qu’il suffit de laisser reposer seul pour qu’il se mette à cailler, devenant alors du fromage. Mais ce qui est vraiment intéressant dans toutes ces découvertes, outre le goût, c’est que la fermentation a permis aux hommes de conserver les aliments plus longtemps et donc de faire des réserves pour les temps de disette.

L’aliment fermenté est-il vraiment à l’origine de l’agriculture ?

Oui au regard de l’histoire il n’y a pas de doute. C’est en Asie Centrale qu’on aurait commencé à domestiquer l’orge il y a plus de 10 000 ans. Pourquoi l’orge ? Parce que c’est avec l’orge sauvage qu’on fabriquait la bière. Cette boisson ayant beaucoup de succès, l’homme a voulu en produire d’avantage et il n’a eu d’autre choix que de se mettre à le cultiver. C’est donc bien grâce à un aliment fermenté que l’homme s’est mis à l’agriculture.

Les aliments fermentés sont-ils bons pour notre santé ?

Ils contiennent des pro biotiques, des micro organismes qui sont également présents dans notre système digestif et dans nos intestins. Il y a des recherches actuelles sur le sujet qui montrent que ces micro-organismes sont indispensables pour le maintient de notre bonne santé car ils agissent sur des tas de domaines. Cette flore vivante se protège et nous protège par la même occasion des organismes indésirables. De plus la fermentation renforce la qualité nutritionnelle des aliments, les rendant plus digestes. Les viandes et les poissons sont plus tendres et les protéines mieux assimilées la fermentation jouant un rôle de prédigestion.

La fermentation est à la mode car c’est un moyen écologique, économique et sain de conserver les aliments

Après la pasteurisation à outrance du 20ème siècle vous parlez d’un renouveau de la fermentation !

Oui, il y a un vrai regain d’intérêt. Des chefs d’avant-garde, comme le Français Michel Bras ou le Danois René Redzepi, reviennent à des pratiques de fermentation. Aux USA, on assiste à un véritable « Revival » des produits fermentés en opposition aux excès de stérilisation et de standardisation de nos assiettes. Lancé par le Slow Food, une initiative née en Italie qui prône le retour aux produits du terroir et aux traditions culinaires dont la fermentation fait partie, ce mouvement de « Revival » est de plus en plus suivi par une population toujours plus écolo. Ces mêmes personnes qui militent pour la sauvegarde de la biodiversité, des forêts, des plantes, des océans, des  animaux… Mais  également pour une autre biodiversité moins visible, celle de l’infiniment petit, des micro-organismes essentiels à toute vie sur terre.

En pratique que pouvons-nous fermenter sans danger ?

De nombreux aliments. Pour vous y aider j’ai distillé dans ce livre quelques recettes faciles, comme le magret de canard, le Ketchup, la choucroute, les crêpes de sarrasin, le Porridge… chacun peut expérimenter chez soi la fermentation sans avoir de matériel compliqué. D’ailleurs depuis que j’ai sorti ce livre on me demandent d'autres idées de recettes. Je travaille donc actuellement sur un projet de livre de recettes, de méthodes et de techniques autour de la fermentation.

La fermentation a donc encore de beaux jours devant elle  ?

Elle nous vient des temps anciens, a traversé les siècles, a été malmenée après la découverte des bactéries par Pasteur mais revient vraiment en force ces dernières années car on découvre ses nombreuses vertues pour nous maintenir en bonne santé.
Oui assurément l’aliment fermenté n’est pas prêt de disparaitre !


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