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Itinéraires de goûts par le chef Michel Sarran

A quelques heures de la reprise de l'émission Top Chef sur M6, nous vous invitons à découvrir, au travers de cet ouvrage, tout l'univers créatif et gourmand de ce chef à l'accent chantant ! « Dans les itinéraires de vie parfois se dessinent des chemins inattendus vous amenant là où vous ne pensiez pas aller. Ce livre en est le reflet. » Michel Sarran

Itinéraires de goûts par le chef Michel Sarran

Itinéraires de goûts par le chef Michel Sarran

Ce livre, qui est un vrai poids lourd (2,3 kg) est magnifique !
Beau visuellement et ça compte.
Et lourd ! Mais lourd du poids des mots et des idées car il emporte l'imaginaire, fait réfléchir et rêver, ce qui est encore plus important. Mieux, ce livre de voyages, donc de rencontres humaines, donc d'ouverture d'esprit a un pouvoir créatif.
Après l'avoir lu de la première à la dernière page — comme d'habitude mais ici on peut dire qu'il s'agit presque de littérature, donc c'est plus long —, je peux dire qu'il résonne en moi comme le sonnet « Correspondances » de Baudelaire et je ne résiste d'ailleurs pas à vous en rappeler la deuxième strophe qui symbolise assez bien ces " Itinéraires de Goûts" :
« Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »

Pour Géraldine Pellé, docteur en géographie humaine qui a accompagné Michel Sarran dans son aventure : « Le goût est toujours celui de quelque chose ou d'une personne, et cette chose ou cette personne sont tangibles, localisées, inscrites dans une réalité spatiale, émotionnelle, affective. ». C'est pourquoi « La cuisine est un moyen d'expression, un lien tissé vers l'autre, vers vous : les saveurs sont ses mots, les expressions culinaires sont ses phrases. »

Cet opus me touche particulièrement parce que, comme je l'explique moi-même dans chacun de mes livres à la manière dont on enfonce un clou, étymologiquement, le mot "savoir" vient du mot "saveur" et non le contraire. Parce que c'est la perception des sens qui permet de faire des déductions et d'acquérir des connaissances affinées, donc d'avoir du discernement et au final du savoir. Et tous les sens entrent en jeu : vue, odorat, ouïe, toucher puis goût, qui fédère tous les autres en bouche.

Mais trêve de philosophie — dont pourtant cet ouvrage ne manque pas — passons au concret ! Car ne soyez pas rebuté par la présentation peut-être trop littéraire que je fais de ce bouquin car il est aussi — et avant tout — un livre de gourmandise(s).

Le restaurant de Michel Sarran à Toulouse étant doublement étoilé, les recettes sont évidemment un peu complexes car justement le fruit de réflexions dues à ses voyages, à ses questionnements, à sa mémoire gustative (de l'enfance mais pas que) et à ses fantasmes culinaires, souvent générés par associations d'idées. Mais c'est pour la bonne cause : de la poésie et de l'émotion dans l'assiette qui interpellent notre curiosité, titillent nos racines et sont comme un ferment pour notre culture. Comme il le dit si bien : « Le plat, c'est un révélateur d'émotions, dimension supplémentaire à la cuisine » parce qu'il ne fait pas que nourrir. Et pour insolites qu'ils soient quelquefois, ses mariages, ses accords bousculent « juste à l'endroit qui autorise une modification réciproque, juste là où la rencontre est possible, quand l'un modifie l'autre, quand l'un marque l'autre de son empreinte », comme dans sa Soupe de foie gras à l'huître belon où la rencontre terre et mer est un tsunami fait de douceur et de subtilité si vous m'autorisez cet oxymoron. Car il y a contraste des textures mais aussi, paradoxalement, mélange et fusion.

Je ne vais pas vous raconter plus longuement les 16 magnifiques recettes que Michel Sarran nous narre — mieux que je ne pourrais le faire — dans ce livre très personnel avant de nous en confier la progression technique. Car comme il dit : « La technique, ce n'est pas de l'émotion, c'est un crayon pour écrire, c'est tout. Ce n'est pas ce qui fait vibrer. »

Il n'y a pas d'interdit. Tu peux tout faire, il faut simplement oser et trouver le bon dosage. Tu peux travailler avec tout.

Citons tout de même quelques-unes d'entre elles juste pour la beauté :
« Le porc Noir de Bigorre, mignon en cocotte au thym, girolles au gras de jambon, jus vigneron au poivre sauvage Voatsiperifery, boudin noir et ventrèche en lasagne, galette de pieds en vinaigrette » — j'en pleurerais ! — ; « L'Allaiton de l'Aveyron, cuisson douce, panade d'herbes et thé matcha, pithiviers de ris truffé, saisi sur la brique toulousaine aux parfums de pimenton et d'algue » ; « Le bar, au caviar d'Aquitaine, bouillon d'algues aux légumes croquants, riz parfumé à l'eau de rose et ail doré » ; et cette troublante « Émulsion de tarbais au vieux rhum ».
J'ajouterais que complexe ne veut pas dire compliqué mais riche. Michel Sarran l'explique très bien : « Je n'aime pas que les plats soient linéaires. Parce que la vie n'est pas linéaire. Un plat, c'est un morceau de vie. » Il ajoute toutefois, ce qui ne manque pas d'humour : « Je ne suis pas assez japonais pour faire quelque chose de très strict. J'aime l'exubérance. Ça, c'est une grosse difficulté en cuisine : savoir où s'arrêter… ne pas en mettre trop, sinon tu tombes dans la démonstration. » Ou encore : « Il n'y a pas d'interdit. Tu peux tout faire, il faut simplement oser et trouver le bon dosage. Tu peux travailler avec tout. »

Invitation au voyage donc que ce livre ou tout au moins à la promenade dans des univers variés voire à l'introspection car apprendre à se connaître est aussi un voyage, un voyage initiatique pourrait-on même dire. Sarran le confirme : « Mon territoire de goût… qui n'est pas seulement le territoire géographique. » Et : « Dans les itinéraires de vie parfois se dessinent des chemins inattendus vous amenant là ou vous ne pensiez pas aller. Ce livre en est le reflet. »

Michel Sarran rappelle qu'il a commencé à Paris à « La Main à la Pâte », son premier restaurant externe, lieu où j'ai eu le bonheur d'être invitée à l'inauguration et où j'allais de temps à autre car après avoir passé cinq années en Italie, il aiguillonnait cette mémoire gustative évoquée plus haut. Mais je ne connais pas le restaurant de Toulouse où j'espère d'autant plus aller vite que ça parle aussi mes origines, mon arrière grand-père « Francèsette » y ayant été ténor à l'opéra.

Merci Michel Sarran pour ce partage culinaire et émotionnel qui fait de la cuisine un art majeur.


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