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Rencontre avec Daniel-Etienne Defaix, vigneron en Chablis

Le Blues du businessman « Made in France » !

Daniel-Etienne Defaix, vigneron en Chablis ©Ludovic Le Guyader

Daniel-Etienne Defaix, vigneron en Chablis ©Ludovic Le Guyader

« J’aurai voulu être un artiste… » voilà bien l’air que nous avions en tête après notre journée passée aux côtés d’un des plus « grands » vignerons en Chablis, Daniel-Etienne Defaix.  

Grand, par la taille, certes, mais aussi par son vin, connu et réputé dans le monde entier, mais également par son désarroi, qu’il clame haut et fort dans des billets d’humeur et autres coups de gueules qu’il ne peut s’empêcher d’écrire, la nuit quand il est au calme. Oui, contrairement à nous, Daniel-Etienne ne dort pas la nuit, il réfléchit, se questionne et pour oublier ses tracas de la journée, une récolte qui n’a pas été bonne, des charges toujours plus lourdes qu’il doit honorer…  Il exerce en secret son deuxième métier, celui d’architecte (déjà 24 réhabilitations à son actif), un métier qu’il rêvait d’exercer mais qu’il a dû faire passer en second plan, pour ne pas décevoir son père vigneron qui comptait sur lui, pour faire perdurer la grande lignée de vignerons Defaix et devenir ainsi la quatorzième génération.

Oui Daniel-Etienne Defaix est devenu, heureusement pour nous, un vigneron, mais pas en réglant son pas sur celui de son père, mais sur celui de son grand-père. Daniel-Etienne Defaix, en chaussant les bottes de vigneron, souhaitait par-dessus tout faire le vin qu’il aimait et c’était bien celui de son grand-père qui avait sa préférence, un vin de garde fait dans la tradition des grands Chablis.
Son père, en son temps, s’était laissé séduire par le chant des sirènes de la rentabilité immédiate en proposant alors des vins jeunes, plus modernes.

Daniel-Etienne Defaix a préféré faire son vin comme le faisait les anciens, en reprenant les « bonnes vieilles méthodes », sans désherber, mais en labourant, en utilisant des engrais naturels, à l’image des tas de fumiers que l’on peut apercevoir devant chacune de ses parcelles. Sans oublier cependant de profiter de l’innovation, il n’a rien contre, mais de façon intelligente, quand la modernité est une aide précieuse sans altérer la qualité du vin, sans abimer la nature et sans contraindre l’humain.

Et comme il a eu raison, même si aujourd’hui, dépité, il pense que c’était peut-être son père qui avait fait les bons choix, les amateurs de Chablis l’en remercient.

Il a voulu faire un vin à sa manière, en prenant le temps. Un vin qu’il dit humblement faire « d’abord pour me faire plaisir, pour le boire et le partager ».

Mais pourquoi donc un homme à qui tout semble réussir est aujourd’hui si amer, nous avouant même « je n’aime plus mon pays, je ne rêve que d’une chose aller m’installer ailleurs » ?

Comment les politiques depuis plus de 10 ans, ont-elles réussi à décourager des hommes d’affaires aussi entreprenants que Daniel-Etienne à la tête, d’un vignoble de 26 hectares, d’un restaurant "La cuisine au Vin", d’une cave, d’un hôtel-restaurant à Chablis, sans oublier les biens immobiliers qu’il restaure ?
Qu’est-ce qui pourrait redonner la foi à l’un des plus brillants vignerons de Chablis ?
Bonjour Daniel-Etienne, tout d’abord comment définissez-vous votre métier ?Mon métier c’est celui de mon grand-père. Quand je suis devenu vigneron je me suis dit qu’il fallait que je fasse les vins que j’aimais et c’était les siens. En fait, j’ai pris la « tradition » de mon grand-père et l’esprit d’innovation de mon père. Mon père faisait des vins modernes, rapides que l'on boit très vite, il faisait du business !

Aujourd’hui que diriez-vous à votre fils si il voulait devenir vigneron ?Que pour entreprendre il faut un espace de liberté et qu’en France il n’y en a plus ! En France tout est règlementé, qualifié, légalisé, taxé et retaxé ! Je ne crois plus en la France.
Alors je dirais à mon fils, en fait je lui dis déjà, de partir faire ce métier à l’étranger, parce qu’aujourd’hui la France est devenue une dictature anéantissante. Je dis à mon fils, si tu veux partir, pars, ne sois pas paralysé. Ici en France, tout est interdit, tout est sous contrôle, sous normes, sous lois… Une vraie chape de plomb !

Daniel-Etienne Defaix, vigneron en Chablis ©Ludovic Le Guyader

Mais vous êtes quand même fier de votre métier ?Oui j’adore ce métier, mais je n’aime plus mon pays. Depuis 2008, il n’y a aucun responsable politique qui a répondu à nos problématiques avec les bonnes réponses, avec le bon sens terrien.
Le bon sens terrien a disparu, chaque jour j’ai l’impression que l'on marche sur la tête. Ça ne va pas, alors on en remet une couche, ça ne va toujours pas, alors on en retartine une autre ! On vit sous un  état de lois, de textes, il n’y a plus de liberté… Vous verrez, un jour mon fumier on va me l’interdire, on va me dire « Monsieur Daniel-Etienne Defaix vous polluer avec votre fumier ! » Alors que moi si je fais ça c’est justement pour ne pas utiliser d’engrais chimiques, pour ne pas polluer.

A ce propos comment sont contrôlées toutes ces règles, ces lois ?C’est bien là le pire ! Imaginez que ce sont des paysans qui ont inventé un système d’auto-contrôle. Un système qui vous permet de contrôler les vignes du voisin. J’ai pas mal de vieilles vignes et je vous parie qu’un jour ils vont me dire « votre vigne a trop de pieds manquants, vous allez sortir de l’appellation ». Alors je devrai planter des jeunes pieds, une jeune vigne qui fait du pisse vin pour les supermarchés.

Et bien voyez-vous, ça ne m’intéresse plus le métier comme ça ! Moi, je préfère mes vieilles vignes, qui ont certes moins de rendement, mais qui me donnent ce vin que j’apprécie.

Chablis ©Ludovic Le Guyader

Quelles sont les particularités des vins que vous appréciez ?J’aime l’idée monastique du vin « n’est grand vin que celui qui sait vieillir… » parce qu’il sait prendre de l’âge. Quand on a touché à ça, on sait que c’est la seule méthode. Les vins de garde sont ceux qui tiennent dans l’histoire et ce sont eux les grands vins.

J’aime les vins qui font plaisir, ceux dont on veut vite ravaler un verre pour retrouver cette sensation de bonheur, de jouissance.
Quand on a cette envie irrésistible d’en reboire c’est gagné !
Un bon vin pour moi, c’est un vin de gourmandise, un vin de pêché.
Un gourmet qui n’est pas gourmand, il n’a pas tout compris. C’est beau, on s’en émerveille et derrière il y a une impulsion,  une pulsion même qu’est la gourmandise. C’est « j’en reveux parce que je me régale », c’est comme l’amour !
Mais il faut faire attention à l’addiction. Je ne bois que du bon et donc il faut savoir être sage. Personnellement, je ne bois jamais seul et jamais entre les repas.
Je produis les vins que j’aime et j’ai la chance d’être sur les meilleurs terroirs de Chablis, le vin blanc le plus connu au monde !

Pourquoi êtes-vous si pessimiste aujourd’hui face à l’avenir ?Depuis 1991 ça ne va pas très bien et depuis 2011 ça s’aggrave. Je vois bien ce qui se passe. La survie n’est pas pour les petits artisans de qualité. Je suis désespéré, je vois que ceux qui font de la merde s’en sortent bien. Parfois ils mettent vieilles vignes sur leurs bouteilles alors qu’elles ont 15 ans, ils disent Bio alors qu’ils traitent la vigne la nuit.

Aujourd’hui, faire un bon vin ça coûte très cher et il n’y a plus de gens en face pour l’acheter… pas pour le boire, il y a toujours quelqu’un pour le boire mais plus pour l’acheter. Le vin aujourd’hui n’est plus l’élément numéro 1 du plaisir. Le vin et la bonne bouffe avant c’étaient des vrais moments de convivialité et maintenant pour les jeunes c’est « has been ».
Les jeunes n’ont plus d’argent pour vivre, alors pour manger ils vont chez Flunch, McDo, hippopotamus… ils mangent même debout dans la rue !
La cuisine de grand-mère a pris une claque et bien c’est la même chose pour le vin de grand père. Les jeunes achètent du Chablis variétal, c’est le Chablis de Leader Price et de Lidl, c’est du Chardonnay et ce n’est pas du Chablis de sous-sol de vieilles vignes. Les gens ce qui veulent c’est un prix !

On vous connait épicurien et amateur de bonnes tables, quels sont vos derniers coups de cœur ?
A Noirmoutier j’aime le restaurant d’Alexandre Couillon, La Marine, un magicien des saveurs. (5 rue Marie Lemonnier – 85330 Noirmoutier en ile).
A Paris, mon petit coup de cœur du moment, où je montrai bien pour un oui ou pour un non c’est le restaurant Akrame (19 rue Lauriston 75016 Paris) et son talentueux chef Benallal Akrame.
Sinon je suis un inconditionnel de la Grande Cascade (Allée de Longchamp, 75016 Paris) et de leur lièvre à la Royale, j’aime aussi la cuisine du chef Christian Le Squer au restaurant Ledoyen (8 avenue Dutuit, 75008 Paris) et l’ambiance chaleureuse de chez Guy Savoy.
Dans la région autour de Chablis, j’aime beaucoup le restaurant le Saint-Père à Tonnerre (2 rue Georges Pompidou, 89700), dans le genre bistrot sympa entres amis.
Il y a aussi l’Auberge des Tilleuls (12 quai Yonne, 89 290 Vincelottes) d’Alain Renaudin, c’est de loin la plus belle terrasse au bord de l’eau de tout le département, une carte des vins monstrueuse et pour ne rien gâcher dans les assiettes ils ne font que des bons produits frais,  des produits nobles, il faut y aller quand même avec un petit portefeuille bien rempli.
Sur Auxerre, j’aime bien un mec sérieux, classique, Jean-Pierre Saunier au restaurant Le Rendez-vous (37 rue du Pont, 89 000 Auxerre) j’aime aussi un petit jeune Eric Gallet et sa table le Bourgogne (15 rue preuilly, 89000 Auxerre).

Daniel-Etienne Defaix, vigneron en Chablis ©Ludovic Le Guyader

Avez vous un pêché mignon ?J’en ai plein, plein… Le caviar Oscietre, un bon cigare, j’aime la finesse des Davidoff. En gastronomie j’aime le lièvre à la royale et je ne peux pas vivre sans mes huitres, mes préférées sont celles de la famille Maldec de Carantec, accompagnées d’un verre de Chablis.

 Quel est votre accord parfait ?Le top, un Chablis 1er cru Des lys d’au moins 10 ans d’âge pour accompagner un Turbot sauce hollandaise.

Si c’était votre dernier verre ?Je ferais ce que j’ai fait avec mon papa quand on a su qu’il allait partir, j’inviterais toute la famille et on boirait la plus vieille bouteille de la cave. Pour mon père c’était un Châteauneuf du Pape 1870.


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