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La vérité est dans le chapeau de...Jean-Michel Deiss, vigneron en Alsace, épisode 3

Jean-Michel Deiss, tire au sort des mots dans son chapeau et réagit

Jean-Michel Deiss :

"Vin nature… écoute vin nature c’est aussi un joli mot. Je ne produis pas de vin nature. Dans mes fonctions précédentes j’ai protégé beaucoup de producteurs de vins nature, dans mon appellation comme dans des appellations plus lointaines parce que j’ai défendu toujours l’idée que, le producteur avait avec son terroir une relation profonde, sensible, qu’à travers la sensibilité du producteur le terroir s’exprimait et que ce qui faisait la différence entre un vin d’appellation et un vin industriel, c’était la dispersion sensible autour d’un idéal. Et donc j’ai essayé de protéger les gens qui ne pensaient pas comme moi, les gens qui ne faisaient pas comme moi, parce que je leur reconnaissais la possibilité et la grandeur d’exprimer le terroir avec d’autres ressources que les miennes.

Il y a des raisins qui me donnent évidemment envie d’essayer de faire du vin sans souffre, ce qui est encore un peu autre chose, je ne peux pas en dire trop aujourd’hui car nous sommes encore dans les limbes de cette histoire et que c’est un espace qui appartient plus à Matthieu, mon garçon, espace où je vais laisser cet homme se déployer et trouver sa place naturellement sans que je formate rien du tout, mais je pense que nous produirons, sans doute, dans le futur, dans un autre espace que Marcel Deiss, des vins qui seront nature qui seront peut-être des vins d’un cycle de consommation plus rapide, parce que ce qui est la marque du domaine dont on a pas parlé ensemble du tout, c’est la dimension de garde, depuis le premier jour il y a 40 ans j’ai revendiqué que je voulais faire des vins de garde, donc j’ai plein de clients et d’amateurs qui ouvrent des bouteilles après des années parce que ils ont gardé ça précieusement, ça avait beaucoup de sens et de valeur pour eux et c’est pas forcément le chemin d’un vin nature.

Il ne faut pas oublier sur le plan du fond, les gens qui, aujourd’hui, essayent de faire du vin nature, essayent fondamentalement de raccourcir la vie du vin, ils cherchent à minéraliser, le plus rapidement ce qui est du carbone, des arômes, l’éphémère, ils essayent d’aller assez vite vers la minéralité de ça qui est une forme de vieillissement et d’apogée et par leur technologie ils cherchent à accélérer. J’ai utilisé parcimonieusement le souffre pour essayer de ralentir encore un peu ce mouvement parce que je me raccrochais encore à l’idée que les seules choses qui ont vraiment de la valeur ce sont les choses qu’on garde, ce n’est pas forcément les choses que nous consommons. Je suis peut-être un vieux de la vieille, un ancien indécrottable, je me dis que nos sociétés de consommation sont surtout des sociétés de l’autodestruction, de l’autoconsommation, que la plupart des choses autour de nous sont jetables.

J’avais le rêve de produire des choses, y compris avec un petit peu de souffre, pour durer. C’est vrai que nature est une chose qui m’interpelle et qui m’intéresse et donc je vais bien entendu intégrer des vins natures dans la recherche que nous menons sur les mots tactiles du vin, sur la relation entre le lieu et le goût pour vérifier qu’ils sont aussi fidèles que les autres, peut-être le sont-ils plus et qu’ils expriment leur terroir tactilement encore plus évidemment que les autres ? Question ouverte pour laquelle nous n’avons pas de réponse aujourd’hui mai ça fait partie du jeu. En tout cas pas du tout mot tabou, pas du tout mot chargé de souffre, mot de liberté, mot d’ouverture.

Je suis assez fier d’avoir eu à la première minute, cette posture là que me reconnaissent plein de gens alors que par ailleurs je suis un vieux con."


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