Les beaux souvenirs ne meurent jamais
Au lendemain de la plus grande Marche Républicaine qui a rassemblé en France plus de 3 millions de personnes pour rendre hommage aux dessinateurs assassinés de Charlie Hebdo et à tous ceux qui sont tombés en ce début d’année 2015 et pour défendre la liberté d'expression, le restaurant Souvenir était de loin l'article le mieux nommé pour nous permettre à tous d’avancer et de reprendre ensemble le cours de nos vies, sans oublier pour quoi nous nous battons aujourd'hui et nous nous battrons encore demain !
Situé au cœur de l'agriculture belge, et donc source d’approvisionnement pour "Souvenir", le Westhoek (c’est-à- dire traduit du néerlandais "Coin de l'ouest") est une région transfrontalière dans la province de Flandre-Occidentale (région flamande) et le département du Nord (région Nord-Pas-de-Calais), située entre la mer du Nord et les cours d’eau que sont la Lys et l’Aa. Là est implantée la ville d’Ypres ("Ieper" dans la langue de Vondel) aux façades de briques ocres.
Par suite du traité de Nimègue entre l'Espagne et la France en septembre 1678, Ypres est passé sous l'autorité de ce dernier pays et ceci jusqu'en 1713. Louis XIV ordonne alors à Sébastien Le Prestre, futur marquis de Vauban, la reconstruction des fortifications de la ville.
Durant la Première Guerre mondiale, les Allemands ont porté leurs attaques sur la région yproise, en octobre 1914. Jusqu’en octobre 1918, le champ de bataille se trouvait à quelques kilomètres du centre ville. La guerre des tranchées s'y étendait du nord au sud, décrivant un arc de cercle autour de la cité. Le Westhoek belge sera la seule portion du royaume de Belgique à n'avoir jamais été envahie par l’armée allemande.
Le bonheur n’est pas une expérience, c’est un souvenir.
Mais venons au vif du sujet. Ici, les souvenirs ne sont pas belliqueux mais épicuriens. Le menu reprend d’ailleurs cette citation d’Oscar Levant : "Le bonheur n’est pas une expérience, c’est un souvenir."
Le chef Vilhjalmur Sigurdarson (né en Islande) a d'abord presté dans des établissements de renom, tels "Texture"(Londres), puis "In De Wulf" (Dranouter - Ypres), "Hertog Jan" (Zedelgem - Bruges) et "La Buvette" (Bruxelles). Joke Michiel (originaire d'Ypres), ancienne productrice de télévision, a réalisé des programmes pendant dix ans avant d’accompagner son mari dans leur nouvelle aventure.
La cuisine est ouverte sur un cadre sobre constitué essentiellement de blanc et bois brut clair. Ce décor épuré est à l’image des plats, comme nous le verrons.
Le personnel se montre discret et avenant sous la direction de la souriante maîtresse des lieux. Particularité : le chef et les cuisiniers alternent avec l’équipe de salle pour la présentation des plats au moment du service.
Une seule formule sous forme de menus adaptés au jour le jour. Il n'y a pas de possibilité de choix à la carte :
• menu 3 services : 35 € (disponible le lundi, jeudi et vendredi à midi, sauf jours fériés),
• menu 5 services : 55 € (toujours sauf le samedi soir),
• menu 7 services : 75 € (samedi soir).
A noter la possibilité d’un, deux voire trois plats complémentaires avec supplément, le tout restant d’un très beau rapport qualité-prix.
La présentation est immuable : deux, et le plus souvent trois ingrédients renseignés au menu pour chaque plat. Lesquels passent au nombre de quatre ou cinq plus explicités lors du service. Pas d’énoncé tarabiscoté : tout en limpidité.
Un exemple ? Tomate, orge. Plie, chou-fleur, beurre noisette. Coquille, fenouil, citron confit. Oignon, blette, crème. Poitrine de bœuf limousin, céleri-rave, sarrasin. Poire, cidre, chocolat blanc.
Les mets sont inventifs :
L’art de faire une cuisine sans sophistication, toute en subtilité, tout en paraissant simple. Les ingrédients délicatement préparés se répondent en parfaite adéquation et se mettent en valeur les uns les autres.
Un autre exemple plus détaillé ? Mise en bouche : coquille Saint-Jacques, céleri-rave, sauce hollandaise et enfin yaourt pour la fraîcheur. Citrouille, sauce à l’oseille, pourpier, graines de citrouille et de pavot. Vive d’une cuisson croustillante, betteraves rouges et un beau jus de coquillages pour le contre-point, outre l’huile de chou vert. Topinambour fondant à souhait, racine d’oxalis, pommes de terre parfaites, crème caramélisée, noix de muscade. Gigot d’agneau délicat, salsifis, pomme, jus d’agneau rôti bien relevé, blé noir. Enfin, deux desserts somptueux : chocolat, poire caramélisée teintée à l’oseille d’une part et châtaigne, graines de lin, caramel d’autre part.
La succession des plats laisse apparaître tout au long trois lignes directrices savamment maitrisées : acidité et acidulité, torréfaction et caramélisation sans oublier les graines et céréales.
Quant aux vins, aucun n’est issu de la viticulture et de la vinification dites "traditionnelles". On mettra en exergue une très belle sélection de tous les horizons : les incontournables que sont la France, l’Italie et l’Espagne, mais aussi la Serbie, la Grèce, l’Autriche, l’Allemagne, l’Afrique du Sud ou encore la Slovénie.
Relevons un Crémant d’Alsace (auxerrois, chardonnay et pinot gris) extra brut nature 2011 de Rietsch tout en droiture, un vin de France (sauvignon) "Chez Charles" 2011 de Noella Morantin aux notes lactées, beurrées, un vin de France (malbec) "Enjoy !" 2010 du domaine Le Briseau (Nathalie Gaubicher et feu Christian Chaussard) qu’on laissera s’aérer, un vin de France pétillant (chardonnay) "Foutre d’Escampette" du domaine de l’Octavin (Alice Bouvot et Charles Dagand) frais et délicat, mais aussi un jubilatoire vino de la Tierra de Castilla Y Leon (muscat d’Alexandrie) "La Cosa – The Thing" 2013 de Alfredo Maestro Tejero.
Un bel avenir disions-nous ? Il faut savoir que l’établissement, ouvert début février 2014 s’est vu décerner par Gault et Millau le prix de la Découverte 2015 pour la Flandre. On ne peut rêver de meilleures prémices !
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