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La vérité est dans le chapeau de...Jean-Michel Deiss, vigneron en Alsace, épisode 2

Jean-Michel Deiss, tire au sort des mots dans son chapeau et réagit

Jean-Michel Deiss :

"Agrément… c’est un sujet qu’il faut approfondir, donc aujourd’hui l’agrément n’existe plus, c’est un système de contrôle, ça ressemble à un camembert, tu as l’autocontrôle, le contrôle interne c’est ce que tu fais collectivement qui n’est pas opposable, on déguste entre nous, on dit c’est bon, ce n’est pas bon, c’est moyen et puis le contrôle externe qui est fait par des gens… qu’on ne connait pas, qui sont cachés loin, c’est opaque et eux décident, et là c’est opposable, qu’est ce qui est bon et qu’est ce qui est mauvais l’ensemble du système est vicié pour deux raisons principales.

L’être humain n’est pas fidèle, ce qu’il exprime n’est pas ce qu’il sent, ce qu’il exprime n’est pas ce qu’il goute, d’ailleurs est ce qu’on est vraiment sur qu’il goute, moi je constate qu’il y a 15% au moins des gens qui n’ont jamais pris le vin en bouche. Il y en a un qui m’a dit : « Ça descend toujours », c’est-à-dire qu’ils ont fait une analyse du nez, qui est une analyse totalement fabriquée, artificielle, où on nomme des arômes y compris qui n’existent pas et on a jamais regardé qu’est-ce qu’il se passe en bouche, 15% goutent du vin sans l’avoir jamais gouté, après il y a une chose qui me fâche, qui m’est insupportable, c’est la liste des 96 défauts majeurs du vin qui est pour moi un objet raciste absolu, c’est à peu près une liste brune ou noire, voilà c’est insupportable, je ne sais pas si c’est Maohiste, si c’est Stalinien il faudra choisir, quand on sait que le sens donné aux mots, à ces mots-là découle d’une formation… le goût moisi-terreux, il y a moins de 2% statistiquement de gens qui sont capables de le reconnaitre, est-ce qu’on arrive à légitimer de mettre un mot pareil, un concept aussi spécialisé, dans la liste nationale des défauts du vin, le goût moisi-terreux, alors que j’ai moins de 2% de gens qui le reconnaitraient lorsqu’on leur met un échantillon devant le nez, normalisé, vous voyez, comment on fait ? Donc il y a vraiment des problèmes de forme, des problèmes de répétabilité parce que si vous prenez 6 vins et que vous prenez 6 dégustateurs et que vous leur faites gouter 6 jours les 6 vins ils donnent 6 fois des réponses différentes, donc où est la vérité ? Ecoutez, moi je ne sais pas, je pense que le premier dégustateur c’est le marché… D’où voulez-vous tirer que l’appellation contrôlée serait une obligation de résultats, ça a été pendant des décennies une obligation de moyens.

Alors… un bon dégustateur, et bien écoute un bon dégustateur, et ce n’est pas acquis, doit être capable de faire la différence entre 4 choses.
L’impossible, l’infect, l’imbuvable, ça existe, le bon, le grand et la préférence. Il y a déjà un premier problème c’est que la plupart des gens confondent le bon ou le grand avec la préférence, quand ils préfèrent c’est que c’est grand ou bon. Non, il peut y avoir des choses qui sont absolument géniales qui confinent même au sublime et qui ne sont pas ma préférence… et ça c’est de la civilisation. Après il faudrait qu’un bon dégustateur soit capable de différencier un vin industriel, d’un vin venu d’une vigne et d’un lieu, parce qu’il y a des tas de vins aujourd’hui qui revendiquent un lieu mais qui sont totalement industriels. Après le très bon dégustateur devrait être capable grâce à la dégustation géo-sensorielle, à reconnaitre les terroirs, à nommer la couleur des sols, à nommer la couleur des lieux, à mesurer le niveau d’énergie, l’ouverture ou la fermeture du paysage, il devrait être capable de dire si le terroir est cristallin, sédimentaire ou volcanique et puis ensuite d’avancer encore plus loin et de décrire la texture.
Parce que les vrais vins sont marqués par une texture très subtile qui se rapproche d’un tissu et donc qu’il soit capable de décrire en des termes très simples, universels accessibles au plus grand nombre.
La dimension de texture me semblerait un immense progret, parce que je vois un problème très simple, c’est que toutes les descriptions aujourd’hui de vins qui naissent dans les canards, dans les revues elles sont toujours très intelligibles pour ceux qui les ont écrites. Elles sont totalement non signifiantes pour ceux qui les lisent, d’ailleurs ils ne les lisent plus.
Voilà je pense à une revue assez célèbre, le cahier central en papier un peu plus épais, je ne sais pas qui est ce qui lit ça ! Celui qui l’a écrit quand il le relit mais à part ça personne le lit parce que c’est illisible, ça n’apporte rien !
Je donne toujours cet exemple assez savoureux, est-ce qu’un vin qui sent la garrigue, je dois comprendre qu’on a macéré le raisin avec des olives noires et du thym ? Ça veut dire quoi, ce vin sent la garrigue ? Il faut argumenter, il faut peut-être aller plus loin ! Une fois que le plan est sur la table, qu’on est tous d’accord sur les proportions du plan, sur la façon dont c’est construit, la logique l’architecture de l’objet, moi je revendique de mettre deux points, d’ouvrir les guillemets, de dire avec mes mots à moi, avec ma poésie à moi, qu’est-ce que ce palais-là m’inspire, comment je l’habillerai, comment je l’habiterai, comment je le dessine, comment je le vivrai ? Ca je pense que j’ai le droit, mais je revendique cette subjectivité-là à la condition d’avoir d’abord mis un premier étage, ce sont les proportions du plan.
Parce que si on fait ce travail-là préalable, il y a des tas de gens qui vont sortir de partout et qui vont dire qu’eux aussi ont envie de participer au festin génial de nommer avec leur sensibilité, l’habillage du plan. Ca rendra la parole à tout le monde et on retrouvera une véritable imprégnation du vin dans la société. Aujourd’hui le vin c’est un objet un petit peu compliqué, mis dans un coin, les femmes font leurs courses le samedi matin chez le caviste, quand ce n’est pas au supermarché et puis il y a un petit monde d’amateurs… c’est presque des sectes qui ont un vocabulaire très spécial, qui ont des connexions, des allocations, tout ça … je ne vais pas cracher dans la soupe mais enfin… donc je n’ai plus de diffusion de concept de grand vin dans le peuple, dans les gens , dans la vie, dans les jeunes aussi. Il faut qu’ils aillent dans des endroits un petit peu miteux, boire des bouteilles un peu de demi portion, parce que celle-là restent accessibles, parce que acheter à 6€ à un pauvre type au cul de la camionnette on peut les revendre pour 26 dans le resto quoi, voilà ça c’est un peu dommage, c’est la limite du système, voilà ce que m’inspire le petit mot « un bon dégustateur ». "


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