vins

De la mine à la vigne ou quand le terril se fait vignoble

N°9 d'Haillicourt, un charbonnay au nez citronné

De la mine à la vigne ou quand le terril se fait vignoble

De la mine à la vigne ou quand le terril se fait vignoble

Et si l'on continuait dans la série des vins insolites ?

Le "charbonnay" est le premier vin français (01) produit sur un terril (conique). Sa création et ses vendanges ont connu une importante couverture médiatique : jusqu'à la B.B.C. (02)

Charbonnay : Un terroir à part !

Dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, 339 terrils sont recensés.
En 2012, l'U.N.E.S.C.O. a classé ce bassin dans le patrimoine mondial de l'Humanité, en tant que paysage culturel évolutif vivant car offrant "un paysage remarquable façonné par trois siècles (du XVIIIe au XXe siècle) d’extraction...". (03)
Là est sise la commune d' Haillicourt (Pas-de-Calais - 5.100 habitants), entre Béthune et Lens, limitrophe de Bruay-la-Buissière. Cette ancienne cité minière, aux corons tirés à quatre épingles, recense trois terrils qui appartenait aux Houillères du bassin Nord-Pas-de-Calais.
Un seul nous retiendra.
Le terril n°9 (04) de la fosse 2 bis de la Compagnie des Mines de Bruay - haut de 73 mètres - s'étend sur neuf hectares. Le site, dont l'implantation a commencée en 1903-1904, est devenu productif à partir de 1907, l'extraction se terminant en 1956.
Les instigateurs du projet sont au nombre de trois.
Henri Jammet, natif de l'Aude, est viticulteur à Saint-Sornin (Charentes) et enseignant en viticulture. Il fait encore et toujours régulièrement le voyage pour surveiller les travaux au vignoble et la vinification.
Son voisin de vigne, Olivier Pucek, est lui-même propriétaire-récoltant. Descendant d'une famille de mineurs, il est originaire de Bruay-la-Buissière. Il a entraîné le premier dans l'aventure dont l'idée germe en 2008 : Henri Jammet et Olivier Pucek se rendent sur place. Convaincus, le projet est initié en 2009.
Quant à Gérard Foucault, maire d'Haillicourt, ancien horticulteur-paysagiste, il s'investit lui aussi.
Le conseil municipal contribue annuellement à raison de 8.000 euros, soit un tiers du budget. Le solde est apporté par une S.A.R.L. fondée pour l'occasion en mars 2010 par six membres dont Pucek et Jammet : "Les Vins Audacieux", laquelle exploite le vignoble.
L'Etablissement Public Foncier propriétaire du terril se montre lui aussi intéressé par cette requalification laquelle participe à la valorisation générale du patrimoine historique, rend hommage aux mineurs, sauvegarde la mémoire de la région et permet aux terrils de présenter un visage plus vert, qu'il s'agisse de la flore ou de la faune spécifiques qu'ils recèlent. Caractéristique d'un changement d'attitude, le temps où les terrils, considérés comme des déchets d'un passé minier à dissimuler, faisaient la honte des paysages du Nord est bien fini : ils sont devenus la fierté de quelques 270 années d'histoire industrielle, symbolisant la pénibilité du travail à la mine, puis l’effondrement de l'industrie lourde milieu du siècle passé.

Mais au fait : pourquoi un terril ?

Il dispose d'atouts certains.
Son sol noir schisteux accumule et restitue la chaleur. Mais de plus, il dégage de la chaleur ce qui compense le manque d'ensoleillement (05).
Il est filtrant et drainant.
Il s'avère peu fertile.
D'autre part, le vent assèche les pieds et permet aux vignes de rester saines, évitant le développement du mildiou et de la pourriture.
Défrichage et plantation : tout a dû se faire manuellement alors qu'il a fallu monter tout le matériel à dos d'homme sur un terrain raide et friable, lequel ne facilite ni le travail de la vigne ni les vendanges.
Le défrichage a été assuré par une association d'insertion professionnelle locale axée sur l'environnement.
Certains outils durent être adaptés pour la plantation.

Du Chardonnay sur les terrils 

Mi-mars 2011, 2.000 pieds de chardonnay ont été plantés à mi-pente (pour éviter les gelées de printemps), avec une déclivité de 80 %, pour une superficie de 33 ares.
Ils sont exposé au sud afin de bien capter les rayons du soleil.
La reprise des plantations fût bonne, avec faible taux de mortalité (5 %).
En 2015, 500 pieds complémentaires de chardonnay ont plantés au même niveau, avec une orientation sud-ouest.
La vigne est conduite en agriculture biologique comme exigé par la convention dont il sera question plus loin.
Elle est entretenue par un fonctionnaire communal ayant reçu une formation idoine.
Afin de pallier le manque d'ensoleillement, les vendanges se déroulent fin octobre.
Elles s’opèrent manuellement, en caissette.
Le rendement est limité : quelques six grappes par pied. Soit en 2013, 140 litres ; 2014, 220 litres ; 2015 : 225 litres.
La vinification intervient dans la cave voûtée du presbytère du XVII° siècle, l'ancien garage du curé étant transformé en chai.
Le raisin est trié, égrappagé, foulé et pressé.
Vinification , élevage, mise en bouteille et entreposage s'effectuent ensuite au sous-sol.
Les trois millésimes ont connu ou connaissent un vieillissement sous bois pendant un an : le premier dans un fut de 110 litres, le second dans un fût neuf de 225 litres. Le 2015 est actuellement en fût : c'est donc un fût d'un vin.
Jusqu'à peu, il était interdit aux régions non-viticoles ( en l'occurence le Nord-Pas-de-Calais et la Bretagne) de produire - pas d'accès aux droits de plantation - et vendre leur vin. Une autorisation exceptionnelle a été délivrée à titre expérimental par le Ministère de l'Agriculture : le contrat fixe une durée de 18 ans, avec arrachage à terme, sauf changement de législation. Nous y reviendrons.

Pas de reconnaissance officielle : pas de vente

Aussi, d'une part, la distribution est réservée pour deux tiers aux adhérents de l'association “2bis & Tertous”, partie prenante de l'opération : ils recoivent une seule bouteille en échange d'une adhésion fixée à 40 euros. D'autre part, la mairie offre le solde, objet promotionnel des activités communales (noce d'or ou d'argent, vins d'honneur, mariage...).
C'est par ce biais qu'il nous a été permis de goûter le 2015 prélevé alors qu'il était placé en barrique depuis une semaine. La robe est trouble. Le nez évoque le citron. Le palais fait montre d'une belle acidité droite et longue. Le limpide 2013 exprime globalement des notes boisées et beurrées. Manifestement, l'élevage n'est pas un cache-misère : loin de là !
Bref : deux belles vinifications.
Nous savons déjà que la plantation a été autorisée à titre expérimental, ce qui exclut toute commercialisation. Une restriction qui pourrait disparaître grâce à un règlement européen libéralisant les droits de plantation.
En 2012-2013, à la suite des négociations engagées dans le cadre de la réforme de l’Organisation Commune du Marché, le règlement (U.E.) n° 1308/2013 a introduit au niveau européen un nouvel outil de gestion du potentiel de production viticole. Depuis le 01 janvier 2016, l’interdiction de planter des variétés à raisins de cuve a disparu au profit d’une possibilité de croissance limitée du vignoble. Le système d’autorisation s’applique à la production de vins à appellations d’origine protégées, de vins à indications géographiques protégées, de vins sans indication géographique et à toutes les vignes classées en raisin de cuve quelle que soit la production (raisin de table, jus...), et cela sur l’ensemble du territoire français. D'autre part sont exemptées d’autorisation les plantations destinées à l’expérimentation, à la consommation familiale et assimilée.

Les démarches administratives sont en cours : c'est là que se trouve les opportunités de pérénnisation du vignoble d'Haillicourt et de son prometteur 'charbonnay'

(1) Début 1972, en Belgique, est créé le vignoble du château deTrazegnies sur le terril n° 7 des Charbonnages de Mariemont-Bascoup (commune de Chapelle-les-Herlaimont dans la province du Hainaut). Il connaît des fortunes - disons - diverses... www.tervigne.be
(2) www.bbc.com
(3) http://whc.unesco.org
(4) Depuis le centre d'Haillicourt, se diriger vers Bruay-la-Buissière par la rue des Martyrs : le terril et son vignoble s'érigent à droite. On peut en approcher mais pas y accéder : le site n'est pas accessible au public.
(5) La teinte sombre du terril s’explique par une quantité importante de carbone. A cause des anciens procédés de tri manuel, une certaine quantité - 5 à 15 voire 30 % - de charbon combustible non retenu était déversée sur le terril avec les 'stériles' (sous-produits de l'exploitation minière). La combustion peut être également liée au volume du terril, lequel déclenche la combustion du carbone en présence d’eau et d’oxygène. Les schistes brûlés prennent une couleur rouge brique caractéristique de la combustion.


Commentaires

Top