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Marx et sa Baguette

Un drôle de titre pour une histoire hors du commun qui remet en cause notre vision de la production du pain et son économie.

Marx et sa Baguette

Marx et sa Baguette

Itaru Watanabé est boulanger ; un boulanger un peu particulier. S’il est installé au Japon, il a su s’affranchir des codes de la boulangerie classique pour produire un pain le plus naturel possible au fur et à mesure de son évolution, de son perfectionnement et de sa maîtrise de la fermentation.

Ce livre un peu étrange est à trois niveaux. Le premier sont les illustrations au cours des chapitres du process pour obtenir un pain au levain de saké naturel. « Naturel » prend tout son sens car Itaru met de côté toutes les préparations industrielles de levain, béquilles des boulangers qui ne sont plus des artisans, pour à partir d’une souche qu’il trouve dans la nature créer, un véritable levain.

Le deuxième niveau concerne le parcours personnel d’Itaru. C’est une autobiographie rythmée par ses prises de conscience et ses déménagements. Le dernier déménagement sera pour s’installer auprès d’une source d’eau pure facilement accessible.

Et le troisième et dernier niveau, c’est là que Marx entre en jeu, est une réflexion sur l’économie de la boulangerie, la qualité des produits, leurs coûts et l’entreprise qui doit rester à une échelle humaine. Dans Le Capital, Karl Marx s’appuie sur l’exemple des boulangeries londoniennes pour développer plusieurs concepts. L’approche de Marx offre à Watanabé la possibilité d’affermir son approche de la boulangerie en refusant l’innovation technique, facteur d’appauvrissement par une course au produit le moins cher, en préférant travailler avec des produits locaux et naturels et en dernier lieu en ouvrant la boulangerie le juste nécessaire pour assurer l’équilibre économique de l’activité sans chercher à se développer plus, tout en permettant aux salariés d’avoir une vie avec des heures de travail décentes et deux jours de repos dans la semaine.

Fils de professeur d’université, Itaru est un étudiant désœuvré. Inscrit en faculté d’agronomie, il rêve de s’installer comme agriculteur sans pouvoir réellement concrétiser son envie. A trente ans, il lui est maintenant impossible d’entrer dans une grande entreprise pour faire carrière. Il est trop vieux. Le constat sans être amer est là : « Jusqu’à mes 30 ans, j’avais vécu une adolescence prolongée à la recherche de moi-même, habité par l’idée de vivre à la campagne et d’être agriculteur, mais sans avoir de plan concret ».

Un de ses enseignants lui trouve une place chez un grossiste « bio ». Là, il fera la connaissance de sa future épouse mais verra la face peu ragoutante du commerce du « bio » avec des malversations sur l’origine des produits, l’industrialisation de la production de levain etc … Confronté à cette situation, son mal être ne fait qu’empirer. Une nuit, il rêve de son grand-père qu’il n’a jamais rencontré. Ce dernier l’incite à devenir boulanger. Sa décision est prise. Avec sa collègue de travail devenue son épouse, ils bâtissent un projet professionnel afin d’ouvrir une boulangerie. A partir de 2002, Itaru se forme et travaille chez différents boulangers. Les conditions de travail sont terribles : de 2 heures du matin à 17 heures, parfois 19 et un seul jour de repos par semaine.

couverture livre marx et sa baguette
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Après quatre ans et demi à ce rythme, en 2007 il ouvre sa propre boulangerie et réalise son vœu de faire un pain authentique. Il mout son grain, sélectionne ses souches de levain, travaille avec des agriculteurs influencés par les réalisations en arboriculture de Akinori Kimura (dont l’histoire est racontée dans la manga « Les pommes miracle ») ; un paysan ne fait pas pousser des plantes, il prépare simplement la terre qui va les accueillir.

Suite à cette première installation, s’en suit un premier déménagement pour se rapprocher d’une source d’eau de qualité mais encore trop loin de la boulangerie. Il faut compter 3 heures aller/retour pour s’approvisionner en eau. Le second déménagement malgré l’écosystème économique créer avec les artisans et agriculteurs de la région est là encore motivé par la recherche d’une eau pure mais beaucoup plus proche de la boulangerie. Il trouve son bonheur dans un lieu éloigné de toutes zones urbaines. La source et si proche de la boulangerie qu’elle passe sous le bâtiment. Il en profite pour ouvrir une brasserie et produit aussi de la bière.

Itaru Watanabé se raconte ainsi pendant plus de deux cents pages, à la japonaise. C’est pédagogique, simple et clair ; comme un tableau de peinture, il revient par touche sur des sujets déjà abordés. Cela peut parfois sembler répétitif pour ceux habitués à un discours plus linéaire mais quoiqu’il en soit, l’ouvrage fini, un vent frais vient dépoussiérer notre vision de la boulangerie. L’ouvrage a cartonné en Corée du Sud.


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